Les momies de Saint-Michel

Non, il n'est pas question ici d'obscures momies ayant côtoyé de leur vivant le très saint Michel. Ni de corps embaumés ayant profité de la science des anciens Egyptiens... Il s'agit simplement de corps momifiés naturellement -et un peu miraculeusement- dans le sol argileux bordelais, et exhumés en 1791 lorsque le Directoire ordonne la suppression de deux charniers jouxtant la basilique Saint-Michel à Bordeaux.

Basilique Saint-Michel, portail nord et clocher. Photo : K.S.

Quelques 74 momies sont mises au jour, dans un état de conservation tel que l'on décide de les exposer dans la crypte sous le clocher Saint-Michel. C'est ainsi qu'une soixantaine de corps se retrouvent disposés debout, les uns à côté des autres, dans une muséographie morbide qui attire les foules.

Les "momies" de Saint-Michel.

On pourrait sourire ou s'offusquer du défilé de visiteurs plus ou moins célèbres (Jules Verne, Gustave Flaubert...) qui sont venus se confronter aux défunts préservés. Mais ce serait oublier un peu vite notre goût toujours intact pour les curiosités macabres, et plus ou moins éthiques, reléguées avec le temps derrière d'impudiques vitrines.

Bref, l'attrait exercé par la proximité de la mort, l'envie de se divertir ou de se faire peur..., les raisons de descendre dans la crypte étaient multiples. En 1843, Victor Hugo témoigne de l'impression dérangeante que ces momies lui procurent : « Imaginez un cercle de visages effrayants au centre duquel j’étais. Les corps noirâtres et nus s’enfonçaient et se perdaient dans la nuit. Mais je voyais une foule de têtes sinistres et terribles qui semblaient m’appeler avec des bouches toutes grandes ouvertes, mais sans voix, et qui me regardaient avec des orbites sans yeux. [...] Par instant, le guide frappait sur les cadavres avec une baguette qu’il tenait à la main et cela sonnait le cuir comme une valise vide. Qu’est ce qu’en effet que le corps de l’homme quand la pensée n’y est plus sinon qu’une valise vide ».

Il est certain que la décomposition d'une articulation labile comme la temporo-mandibulaire (causant le fameux effet "cri d'horreur") et les orbites évidées pointées vers le public avaient de quoi susciter les pires effrois. Les guides qui accompagnaient les visiteurs dans cette découverte lugubre en rajoutaient d'ailleurs largement. Pas de contenu scientifique à partager, alors à travers les siècles sont nées de véritables légendes : celle du porteur de fardeaux qui serait mort sous le poids d'une charge trop lourde, celle du trépas d'un général tué au cours d'un duel qui le laissa avec une large plaie sur le flanc, ou encore celle de la mère africaine accompagnée de son enfant enterré vivant.

En 1979, les momies sont sorties de la crypte et leurs ossements déposés dans l'ossuaire du cimetière de la Chartreuse. Plus de chance donc de tomber nez-à-nez sur l'une d'entre elles en descendant au sous-sol de la "flèche". En revanche une vidéo projetée sur les murs de la crypte nous plonge pendant quelques minutes dans l'ambiance d'antan. Et c'est avec une ironie bienveillante que l'on écoute cet extraordinaire enregistrement du guide à l'accent marqué qui en 1959 raconte avec gravité l'histoire de cette famille abominablement décimée (regardez leurs visages de douleur !) après avoir mangé des champignons, ou de cette femme dont la généreuse et molle poitrine atteste bien qu'elle est morte en couches...
Évidement on en sourit aujourd'hui, mais ce bout de patrimoine sonore nous montre avec une précieuse et immédiate clarté à quel point la confection des discours et les attentes autour d'eux répondent aux réalités culturelles et scientifiques de leurs époques. Plus aucun guide aujourd'hui n'inventeraient de telles histoires... bien que nombre de spectateurs les accueilleraient toujours avec fascination !

Mais il n'y a pas que le sous-sol du clocher (un campanile en vérité, puisqu'il est érigé à côté de la basilique) qui mérite que l'on s'attarde. Il y a les 240 marches à gravir pour profiter d'un très large panorama sur Bordeaux et ses environs. Celle que l'on surnomme la "flèche" a été reconstruite sous la direction de Paul Abadie et permet au clocher d'être visible à 40 km de distance, en faisant un des symboles incontournables de la ville.

Clocher Saint-Michel, Bordeaux. Photo : K.S.

L'ascension se mérite, mais elle tient ses promesses même par temps couvert. Outre le panorama, on découvre le carillon avec son mécanisme de 22 cloches soutenues par une lourde charpente. Et on peut enfin souffler en arrivant sous la flèche ajourée, dont le cône de pierre s'élève haut au-dessus de nos têtes.

Vue de Bordeaux depuis la flèche Saint-Michel, avec vue sur le Port de la Lune et le pont de pierre. Photo : K.S.

Il est intéressant de constater que cet ancien quartier de marins et d'artisans, aujourd'hui quartier populaire et multi-culturel, abrite une basilique qui a bénéficié d'attentions et de financements royaux. Ah, les heureuses coïncidences de l'Histoire.
A l'intérieur, elle dévoile son caractère véritablement unique : comme ces chapelles dédiées spécifiquement à une des confréries ou une des corporations qui officiaient dans le quartier, ou ces dalles gravées et numérotées qui sont éparpillées à l'extérieur des chapelles et sous lesquelles reposent des défunts dont le nombre et l'histoire restent incertains.  

Dalle portant le "N° 69" et la mention d'un certain "Quantin, couvreur". Basilique Saint-Michel. Photo : S.Giuliato

Il y aurait beaucoup à dire sur ces monuments et sur ce quartier... Mais pour terminer ce court billet, je vous laisse à l'extérieur du transept nord de la basilique, devant un abondant décor sculpté et historié... Et trônant au-dessus du portail, la douceur et la rareté de cette sculpture de la Trinité.

La Trinité. Basilique Saint-Michel, Bordeaux. Photo : K.S.

Toute rencontre peut devenir émotion esthétique et questionnement intérieur...
Bon début d'été et à très bientôt !

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